Quand les CIPAN servent de gîte et de couverts...
Si les CIPAN servent à piéger l’azote laissé par la culture précédente, améliorer la structure de sol, ou encore stocker du carbone, ils sont également un habitat privilégié pour la biodiversité. Rencontre avec Hubert Compère, agriculteur à Mesbrecout dans l’Aisne, qui nous explique pourquoi.
«Les CIPAN sont bons pour la terre et ils le sont également pour les insectes et les gibiers» assure Hubert Compère, passionné par le sujet et expert en la matière grâce à une vingtaine d’années d’observation et de compréhension de la vie des insectes. «Quand on sème un CIPAN, on stabilise le sol et on commence à voir des insectes qui émergent dès que la végétation pousse». Pour l’agriculteur, pas de doute, chaque variété de couvert végétal attire des insectes différents. C’est pourquoi, sur ces terres, il sème des mélanges. «Sur des périodes de CIPAN longues, je privilégie des mélanges vesces, radis, moutarde, phacélie et sur les périodes de CIPAN courtes, je favorise plutôt l’avoine, la moutarde cycle court, du radis et un peu de trèfle. Ainsi, je satisfais tous les besoins de la biodiversité. 100 % de mes cultures de printemps sont en CIPAN. Quelquefois à l’automne, si j’ai récolté très tôt, je remets un engrais vert avant de semer mon blé d’hiver fin octobre. Cela me laisse un cycle court de 2 mois pour favoriser la biodiversité. Toute l’année, mes terres sont couvertes en permanence».
Car au-delà des insectes ravageurs, certes, mais aussi beaucoup d’auxiliaires et de pollinisateurs, les CIPAN sont aussi un habitat confortable pour les oiseaux comme les pipits farlouses, ou encore le petit gibier comme les perdrix, les faisans, les grives, qui trouvent à portée de plumes, araignées, limaces, et autres petits vers. «Les petits gibiers s’installent dans les CIPAN, chacun ayant son lieu de prédilection. Par exemple les perdrix resteront plutôt en bordure, les faisans circulent dans le milieu. Ils sont ainsi protégés des rapaces, qui eux, comme les corbeaux ou les mouettes, ne s’intéressent pas aux CIPAN». Autre gagnant des cultures intermédiaires, ce sont les chevreuils qui s’y nourrissent et s’y cachent. «Plus ennuyeux, ce sont les sangliers, mais on les chasse mieux dans les engrais verts. Finalement, c’est bien qu’ils soient là» sourit Hubert Compère.
Ne pas travailler le sol
«Quand je sème des légumineuses, elles attirent beaucoup d’insectes, et quand les insectes sont là, les auxiliaires viennent les dévorer. On crée ainsi une véritable biocénose dans les champs». Sur certaines parcelles, les CIPAN semés début août restent en place jusqu’en mars, selon bien sûr, la culture à venir. «Je pulvérise les cultures intermédiaires avec une dose minimale de glyphosate environ trois semaines à quinze jours avant de semer ou alors, je fais un faux-semis pour réduire la pression des mauvaises herbes». Et le glyphosate ne tue pas les insectes insiste Hubert Compère. Pour preuve, des milliers de trous et de galeries souterraines d’abeilles sauvages sont installés dans son champ. «Elles sont là depuis des années et n’ont aucun problème sanitaire». Et pour une biodiversité toujours plus abondante, Hubert Compère ne laboure pas. «Plus le sol est stable donc sans travail, plus le nombre de vers de terre est important. Avec le labour, leurs galeries sont détériorées et ils sont perturbés dans leur développement». Pas de broyage non plus, ce sont les moutons d’un autre agriculteur qui viennent paître les CIPAN.
Plus d’érosion des sols
L’agriculteur est ravi car aujourd’hui, terminée l’érosion du sol. «Je n’en ai plus du tout, plus de ravines alors qu’avant j’en avais beaucoup. L’engrais vert joue aussi un rôle à ce niveau. Il retient l’eau et les galeries de vers de terre captent aussi. En fait, une galerie c’est un trou, il y en a parfois 40 au m2, l’eau va rentrer jusqu’à un 1,50 m dans les galeries de vers. Sans les noyer parce que les vers sont capables de respirer sous l’eau. La surface de leur peau captent l’oxygène de l’eau» détaille le spécialiste.
Reste cependant un bémol pour Hubert Compère : le fait de mélanger des crucifères dans les CIPAN peut favoriser l’apparition de certains coléoptères comme les altises. «C’est un questionnement qui reste à éclaircir». Il a pourtant déjà des idées pour enrayer le phénomène : «peut-être mettre des plantes pièges au moment des semis, pour attirer les coloptères dans les CIPAN là où il n’y a pas d’enjeux économiques, pour éviter qu’ils ne se posent dans le colza ou d’autres cultures sensibles. Mais cela dépend des années et des conditions climatiques».
Un autre questionnement : l’interdiction de voir fleurir des plantes dans les CIPAN et avec obligation broyage précoce, suite à la nouvelle réglementation envisagée sur les successions culturales derrière betteraves néonicotinoïdes. Ce qui amènera une diminution de l’attractivité du CIPAN par la suppression des fleurs et du volume.
Alors pour celui qui n’utilise plus d’insecticides depuis des années, la priorité reste bien entendu une biodiversité foisonnante. Et c’est l’observation, la technique et la patience qui font tout. «Je commence toujours à regarder les insectes prédateurs, et s’ils sont là c’est qu’il y a des ravageurs à manger. Ce matin, dans mon champ, j’ai remarqué des bombilyus, un parasite des abeilles sauvages. Il s’agit d’un dyptère, la famille des mouches, qui dépose ses œufs à l’entrée des galeries d’abeilles et après éclosion, les larves se dirigent dans le nid de leurs hôtes pour se nourrir de leurs larves» explique Hubert Compère à titre d’exemple récent.
Il existe une catégorie d’insectes dont l’utilité est difficile à évaluer au-delà d’emprisonner des proies, ce sont les araignées et les opillons. «Ils sont extrêmement positifs en termes de régulation, par contre ils ont besoin d’un sol stable et de végétation où ils vont capter leur nourriture et chasser en toute sécurité, et se cacher par rapport à la prédation des oiseaux» assure Hubert Compère.
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